En abordant une nouvelle thématique, Bénédicte Henderick reste à fleur d’émotions mais s’engage pour la première fois en peinture. (...)
Comment Bénédicte Henderick, une de nos meilleures artistes à pénétrer au plus profond du sensible émotionnel et de l’intimité quasi indicible, pouvait-elle donner suite aux récits imagés antérieurs consacrés à Laetitia B tant l’œuvre et le sujet sont d’une prégnance ineffaçable ? Car ce n’est pas la mémoire qui les retient mais l’être tout entier qui y a été confronté et intérieurement touché ? En poursuivant l’introspection tout en se distanciant du sujet. Ce qu’elle entreprend avec toujours autant de retenue et pourtant d’intensité perçante, dans ce qui n’est jamais un récit linéaire, ni totalement une fiction, ni une simple interprétation autobiographique, mais une approche allusive aux ressentis de moments de vie innervés d’une gamme de sentiments des plus subtils.
Comment dire les moments, les émois, les interrogations, les peurs ou les joies, les attentes qui ne sont pas des espérances mais des besoins, des nécessités inexplicables qui montent sans prévenir du moi le plus abyssal, qui laissent sans parole ? Comment transmettre des vécus éphémères ? Comment conserver l’instant d’un geste, d’un regard, d’une parole ? Comment faire passer toute la fragilité contenue d’un être qui vibre intensément, secrètement, en son for intérieur ? Comment vivre après l’épreuve extrême, comment vivre avec elle, dans le respect, non dans l’oubli mais dans une distance qui permet rien moins que la vie à suivre ? C’est ce qu’a entamé Bénédicte Henderick en évoquant "Les fantômes de Camina Ando ( ... )". Ceux-là qui hantent le corps et l’esprit, qui existent bel et bien car il ne laissent aucun repos, partagés entre les souvenirs et l’avenir. Ceux-là qui sont à jamais compagnons de vie, soutien indispensable et force mentale. Ceux-là qui s’emparent de nous pour permettre notre propre évasion des contingences obligées.
Ceux qui connaissent l’œuvre de l’artiste pour l’avoir fréquentée au cours des expositions passées, s’orienteront à partir de la seule sculpture posée au centre de la galerie, réminiscence explicite des pratiques antérieures et indications évasives vers ces ailleurs évoqués en dessins, lithographies et en peintures, car pour cette expo Bénédicte Hendrick montre pour la première fois ses peintures. Même si l’exercice n’est pas nouveau pour elle, les tableaux, les petits tableaux réalisés à la résine et à l’huile sur papier, sortent pour la première fois du secret de l’atelier. Une étape est franchie dans laquelle les couleurs se chuchotent et remplacent en délicatesse, en douceur infinie, en ce qu’il y a de plus ténu, ce que les mots ne peuvent transmettre. Le registre est celui de l’effleurement, du juste assez pour savourer lentement le dit, le montré. Mallarmé n’est pas loin. On y croise un visage, un loup qui hurle, un cerf aux abois de la biche, l’esquisse d’un geste, d’un frôlement, un tête-à-tête, le corps et ses tourments, et là, avec un nez rouge de clown, la mort qui compagnie de ses souvenirs. Aussi des parenthèses et des points de suspension, des signes en ce cas aussi parlant qu’une image. Touché. Et l’on peut en sortir bouleversé !
Claude Lorent, Les secrets de soi et de l’atelier, in Libre Arts, 17.6.2011, p. 1-2-3